Le marché obligataire est-il devenu fou ?
Ces dernières décennies, l’existence de taux négatifs était considérée comme une aberration.
Deux zones géographiques étaient citées comme cas d’école : la Suisse et le Japon, où deux contextes particuliers justifiaient ces taux négatifs.
En Suisse, les capitaux étrangers venus profiter du secret fiscal acceptaient les conditions très défavorables imposées par les banques : le taux négatif était une sorte de « prix du coffre-fort ». Il permettait aussi de contenir l’appréciation de la devise.
Au Japon, les taux négatifs ont longtemps été justifiés par la déflation qui justifiait qu’un placement sans risque ne puisse être rémunéré.
Aujourd’hui, les taux négatifs prennent de l’ampleur en zone euro, qui n’est pourtant ni un paradis fiscal, ni en déflation. Apparu sur le marché monétaire, le taux négatif s’est étendu aux obligations d’État, puis d’entreprise, et se propage désormais aux instruments plus risqués : certaines obligations dites « high yield » (« haut rendement » car plus risquées ou mal notées) s’échangent depuis peu à taux négatif !
La situation actuelle est parfois qualifiée d’aberration ou d’anomalie de marché.
Est-ce vraiment le cas ?
Prenons le contre-pied et tentons de comprendre pourquoi certaines trouvent un intérêt… à n’en percevoir aucun !
(si vous n’êtes pas familier avec le fonctionnement des taux négatifs, commencez par lire notre précédent article sur le sujet)
4 possibles motivations à acheter des obligations à taux négatif
1. Les obligations sont presque des liquidités
Les obligations d’État (du moins les mieux notés : Allemagne, France, Pays-Bas…) sont assimilables à du cash : liquides et sûres, elles peuvent être mises en garantie quelques jours pour récupérer immédiatement des liquidités sur l’immense marché du « repo » (sur lequel on échange titres contre cash à très court terme).
Puisque les banques facturent les dépôts de cash importants, certaines entreprises préfèrent détenir des obligations et les convertir en cash uniquement en cas de besoin : tant que le taux des obligations est « moins négatif » que celui de la banque, c’est une bonne affaire !
2. Les banques ont des obligations réglementaires à détenir des obligations
Pour assurer leur solvabilité, les acteurs de la banque et de l’assurance doivent détenir des titres sans risque (des dettes émises par des États disposant des meilleures notations ou par des organismes parapublics).
La détention de ces titres, dont le taux est inférieur à la rentabilité des capitaux propres de l’entité, représente toujours un coût. On peut le qualifier de coût d’opportunité, de manque à gagner, de coût structurel des affaires, mais c’est systématiquement un coût que la banque doit assumer pour pouvoir travailler.
Dès lors, que ces obligations rémunèrent +1% ou -1% ne change pas fondamentalement l’équilibre économique de la banque.
Certes, dans le second cas, un taux est positif et l’autre négatif. C’est indéniable. Mais la logique d’une banque n’est pas binaire. Il faut considérer l’activité sans sa globalité : l’important pour une banque est la capacité de retransmettre les baisses et les hausses de taux aux clients, la couverture du portefeuille de dettes par le portefeuille de placements, la gestion actif-passif…
Et à tous ces égards, le seuil des 0 % est bien plus psychologique que financier. La nature de l’activité n’est pas remise en cause.
3. Les obligations restent le meilleur instrument pour spéculer ou diversifier un portefeuille
Même à taux négatif, les obligations restent le meilleur outil pour spéculer sur de nouvelles baisses de taux. Les acheteurs d’OAT à 0 % le mois dernier ont fait une bonne affaire puisque le taux a baissé depuis !
Les obligations servent aussi à diversifier un portefeuille d’actions pour profiter des périodes de « repli vers la qualité », puisqu’elles ont tendance à monter lorsque les actions baissent. Leur rôle est alors de réduire la volatilité d’un portefeuille plutôt que de fournir un rendement.
4. Tous les acheteurs d’obligations ne cherchent pas le profit
Sur un marché, tous les acteurs n’ont pas le même objectif.
Depuis la mise en place des TLTRO, la Banque Centrale Européenne est devenue un acheteur majeur sur le marché des obligations d’État (allant jusqu’à détenir 33 % des dettes de certains pays).
La BCE ne cherche pas à créer un portefeuille rentable : son but est d’injecter des liquidités dans l’économie et d’abaisser le coût de financement des États. Acheter des obligations à taux négatif ne contrarie en rien ses objectifs puisqu’elle s’intéresse au volume acheté, pas au prix ou au rendement.
Les effets peuvent être cumulés
Un gestionnaire de portefeuille peut estimer que son cash est mieux rémunéré sur des obligations que laissé à la banque. Ces mêmes obligations jouent un rôle de réduction de la volatilité globale de son portefeuille, tout en permettant de profiter d’éventuelles de nouvelles interventions de la BCE sur le marché secondaire.
Avec un tel tableau, ne trouvez-vous pas que l’achat d’obligations, même à taux négatif, devient tout à fait rationnel ?
Pas de poussée d’Archimède pour les taux
Pour ces raisons, les taux négatifs, y compris sur la partie longue de la courbe, ne sont pas une aberration.
Même si elles ne rapportent rien (ou coûtent de l’argent), les obligations continuent de jouer le même rôle économique que lorsqu’elles rapportaient un taux positif.
En conséquence, la situation ne présente pas de force de rappel naturelle qui ramènerait les taux en territoire positif. La poussée d’Archimède ne s’applique pas aux taux d’intérêt ! Les taux évoluent comme ils l’ont toujours fait, selon l’offre et la demande du marché obligataire et les anticipations de taux futurs.
Et pour le trésorier d’entreprise ?
En pratique, les entreprises regardent surtout le coût de portage : l’écart entre le coût de leur dette et le rendement de leurs placements. Aujourd’hui, les taux de placements sont négatifs mais les taux financements n’ont jamais été aussi bas !
À cet égard, se financer à 4% et replacer à 2% est similaire à se financer à 1% et replacer à -1%…
Le travail du trésorier continue : même en période de taux négatifs le taux de placement peut être optimisé.
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