Paris 01 83 81 81 61 - Lyon 04 81 68 52 40 - Bordeaux 05 33 52 11 23 - Rennes 02 20 06 01 78 - Marseille 04 12 29 01 32 - Toulouse 05 25 53 00 07

Vers une résolution de la crise du gaz en Europe ?

Les prix du gaz ont fortement rechuté depuis le pic de cet été. Les cuves de stockage sont pleines à 95% dans les pays de l’UE. Les prix de l’électricité rechutent aux aussi. Suffisamment pour provoquer un repli de l’inflation en Europe dans les mois à venir ?

Le phénomène est contre-intuitif. À première vue, tous les éléments sont réunis pour que la crise énergétique perdure en Europe. Les livraisons de gaz russe vers les pays de l’Ouest sont presque à l’arrêt depuis juin 2022. Les gazoducs Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne, sabotés en septembre, ne seront probablement jamais remis en service. Une résolution de la guerre en Ukraine semble encore lointaine et la chute des températures s’intensifie en Europe. Pourtant, les prix du gaz redescendent progressivement à des niveaux plus abordables.

Une question d’offre, mais surtout de demande

Le marché du gaz est un marché de contrats à terme. Il n’existe pas un seul prix du gaz, mais plusieurs, selon l’échéance de livraison négociée. Les contrats pour livraison en décembre 2022, qui constituent actuellement la référence principale du marché, évoluent autour de 100 euros/MWh, loin du pic à 350 euros/MWh atteint le 26 août. Sans parler du bref passage des prix en territoire négatif (jusqu’à -15 euros/MWh) le 24 octobre pour les contrats « spot » (à livraison immédiate). Un comble, alors que les craintes de pénurie restaient un sujet central quelques semaines plus tôt.

À l’origine de cette chute des prix se trouve la question du stockage. Au 18 novembre, les cuves des pays de l’Union européenne étaient pleines à plus de 95%[1]. Les capacités de stockage françaises et allemandes étaient quant à elles remplies à plus de 99% à la même date. Un niveau anormalement élevé en cette saison, lié aux efforts colossaux déployés cet été pour remplir les cuves coûte que coûte en mobilisant toutes les sources d’approvisionnement disponibles – d’où une envolée des prix. Avec des cuves désormais pleines et une météo très clémente en octobre, les méthaniers arrivant dans les ports espagnols et britanniques ont dû attendre que le réseau soit en mesure d’absorber leur cargaison. D’où une chute des prix, liée à une chute de la demande.

Un recul des prix qui se transmet à l’électricité

Le phénomène se répercute sur les prix de l’électricité. En effet, une importante quantité d’électricité est produite en Europe à partir de centrales à gaz. Ces centrales s’avèrent être de plus en plus nombreuses, car elles accompagnent le développement des énergies renouvelables. Le solaire et l’éolien sont en effet des énergies intermittentes, nécessitant la flexibilité d’une centrale à gaz, simple à démarrer et arrêter, pour compenser les périodes d’absence de production. Plus les énergies renouvelables se développent, plus la dépendance au gaz naturel est donc forte.

Quoi qu’il en soit, grâce à un gaz devenu plus abordable, les prix de « gros » de l’électricité ont eux aussi connu une importante rechute, passant de 1000 euros/MWh en France le 26 août (pour une livraison en décembre 2022) à environ 200-300 euros/MWh en novembre.

Une chute des prix synonyme de chute de l’inflation ?

La crise énergétique est-elle donc sur le point d’être résolue ? Malheureusement, la réponse reste actuellement négative. Si l’on s’en tient aux prix du gaz, ceux-ci restent nettement plus élevés qu’en 2019-2020, où ils se négociaient autour de 15 euros/MWh. Le problème est donc encore loin d’être résolu.

Surtout, il serait vain d’espérer un retour rapide et durable à la situation d’avant-crise. Le gaz russe était auparavant abondant et bon marché grâce à un vaste réseau de gazoducs construit au fil des décennies. Les livraisons alternatives de gaz en Europe parviennent actuellement à pallier l’absence de gaz russe, mais passent par des moyens de transport plus coûteux, notamment par voie maritime, et sont pénalisées par des interconnexions encore imparfaites au sein de l’Union européenne. Revenir durablement aux prix d’avant-crise nécessitera de mettre en place de nouvelles infrastructures pour réduire les coûts d’acheminement via de nouvelles routes et de nouvelles sources, notamment en construisant de nouveaux gazoducs. La construction d’un gazoduc reliant l’Espagne à la France, permettant d’acheminer du gaz ou de l’hydrogène jusqu’en Allemagne, est devenu un projet phare pour les années à venir, mais ceci prendra du temps.

Reste à savoir si l’actuel recul des prix de l’énergie pourrait être suffisant pour apaiser l’inflation à court terme. Le mécanisme est loin d’être automatique. Tout d’abord, certains contrats à terme (échéance décembre 2022, janvier 2023, février 2023, etc) ont d’ores et déjà été payés au prix fort cet été par les opérateurs. La baisse des prix ne concerne que les nouveaux contrats actuellement négociés pour ces échéances. En clair : le coût de revient moyen du mégawatt-heure livré en décembre 2022 restera globalement élevé pour les opérateurs, qui ne pourront donc pas totalement répliquer l’actuelle baisse des prix sur leurs tarifs. Par ailleurs, de nombreux pays européens bénéficient déjà d’un « bouclier tarifaire » depuis la fin d’année 2021 ou le début d’année 2022. Les prix de l’énergie domestique, pris en compte dans le calcul de l’inflation, sont donc déjà plafonnés dans ces pays, notamment en France. Ces mesures ont permis de limiter l’inflation des prix de l’énergie ; en contrepartie, les baisses de prix à venir serviront surtout à soulager les finances publiques, sans être forcément répercutées aux consommateurs.

L’inflation en Europe restera donc sans soute à un niveau élevé au cours des prochains mois. La baisse conjuguée des prix du gaz, de l’électricité et du pétrole pourrait néanmoins parvenir à infléchir progressivement la courbe, en l’absence de nouvelles tensions cet hiver.


[1]     https://agsi.gie.eu/