Le titre de notre précédent Éditaux était « Powell jette l’éponge, Draghi temporise : l’impossible hausse des taux ». Ce mois-ci, nous pouvons affirmer que Draghi, à son tour, a jeté l’éponge d’une hausse des taux !
Depuis le dernier Éditaux, les taux courts sont restés stables tandis que les taux longs s’affichent en forte baisse.
- Eonia : -0,37% (-1 bp)
- Euribor 3 mois : -0,31% (inch)
- Euribor 6 mois : -0,23% (inch)
- OAT 10 ans : 0,41% (-15 bp)
Le taux de l’OAT 10 ans a brutalement chuté, et retrouve les niveaux très bas brièvement abordés au cours de l’été 2016.
Réunion BCE du 7 mars : un ton bien plus « dovish » qu’anticipé
Les annonces de la BCE le 7 mars ont déclenché cette forte chute. En voici les points importants :
- Les taux directeurs resteront stables au moins jusqu’à fin 2019 (le taux de refinancement reste à 0%, le taux de la facilité de prêt marginal à 0,25% et le taux de dépôt à -0,40%)
- Les échéances obligataires du portefeuille de la BCE seront réinvestis à l’identique, pendant une période allant au-delà du premier relèvement de taux
- La BCE réactive les mesures exceptionnelles de financement directs au secteur bancaire (TLTRO) : les banques pourront emprunter tous les trois mois entre septembre 2019 et mars 2021 des liquidités au taux refi (actuellement 0 %), remboursables à 2 ans. Pour chaque banque, le volume sera égal à 30 % de son encours de prêts éligibles mesuré à fin février 2019. Cette mesure sera assortie d’incitations quantitatives à prêter à l’économie plutôt qu’à réinvestir ces liquidités sur les marchés
- Le guichet de prêt à taux fixe restera ouvert pour des montants illimités (limités uniquement par le collatéral de la banque) au moins jusqu’à fin mars 2021.
Ces éléments ont surpris le marché par leur caractère « dovish ». Le marché attendait un indice sur un possible relèvement des taux en 2019 (il n’aura pas lieu) et les détails sur un potentiel nouveau round de prêts aux banques si l’économie dérapait (Draghi l’a immédiatement lancé).
[maxbutton id= »7″]
Les perspectives 2019-2021 s’assombrissent
La BCE justifie ce revirement par un climat économique plus incertain, une révision à la baisse de la croissance des PIB de la zone euro, notamment liée au ralentissement observé en Allemagne et en Italie dans un contexte général de montée du protectionnisme et du populisme.
Le diagnostic économique témoigne d’une grande prudence :
- Anticipation de croissance 2019 révisée à 1,1 % (vs 1,7%)
- Anticipation de croissance 2020 révisée à 1,6 % (vs 1,7%)
- Anticipation de croissance 2021 stable à 1,5 % (vs 1,5%)
- Anticipation d’inflation 2019 révisée à 1,2 % (vs 1,6%)
- Anticipation d’inflation 2020 révisée à 1,5 % (vs 1,7%)
- Anticipation d’inflation 2021 révisée à 1,6 % (vs 1,8%)
Rappelons que le mandat de la BCE est de diriger la politique de taux directeurs de manière à assurer un taux d’inflation à long terme légèrement inférieur à 2 %.
Pour la troisième fois, un nouveau round de mesures « exceptionnelles »
La BCE a donc réactivé son programme TLTRO, consistant à financer les banques à taux dérisoire sur une durée de deux ans, pour les inciter à prêter aux entreprises et aux ménages.
Nous avions déjà détaillé le fonctionnement de ces mesures dans deux précédents articles auxquels vous pouvez vous reporter si besoin « La BCE va-t-elle ressortir ses armes anti-crise ? et Comprendre la politique monétaire en 3 minutes.
Rappelons que lors du précédent round de TLTRO en 2016, les banques ont emprunté 700 milliards d’euros à 0%. Une grande partie des liquidités s’est retrouvée réinvestie sur les marchés, faisant mécaniquement baisser les rendements des actifs obligataires.
Cette fois-ci, le taux ne sera pas fixé à 0%, mais indexé sur le taux refi, et l’échéance n’est plus de 4 ans mais de 2 ans. Cela tempère légèrement la générosité de cette opération, sans toutefois faire taire les critiques qui jugent ce geste prématuré ou trop accommodant. À ce stade, on ne connaît pas encore le détail des encours éligibles : il est trop tôt pour estimer le montant qui sera emprunté.
Les banques ont-elles besoin de ces financements ?
Oui, répond Draghi, pour trois raisons principales :
- d’abord, les remboursements du TLTRO de 2016 : d’une maturité de 4 ans, ils pèseront sur la trésorerie des banques en 2020
- ensuite, les nombreux remboursements de dette bancaires au cours des deux ans à venir (notamment des dettes subordonnées que le marché espère voir remboursées par anticipation)
- enfin, l’augmentation des contraintes réglementaires qui contraint les banques à conserver toujours plus de fonds propres.
Au-delà du diagnostic pessimiste sur les deux ans à venir, la BCE souhaite donc accompagner les banques pendant cette période charnière.
En fait-elle trop ? Les plus taquins estiment que la BCE a été « en retard » dans les hausses des taux, et qu’elle préfère agir de façon prématurée pour ne pas être une deuxième fois à contre-cycle. On peut aussi imaginer une volonté de sécuriser la situation pour faciliter la succession de Mario Draghi en fin d’année.
Une mauvaise nouvelle pour les banques
Les marchés ont réagi brutalement et de façon assez logique. Baisse de l’euro, baisse des taux longs (le Bund à 10 ans rémunère désormais 0,05% !) et comportement en demi-teinte sur les actions : hausse des foncières qui profitent des taux bas, mais forte baisse des banques.
C’est là l’épineux paradoxe : plutôt que de soutenir les banques, la BCE risque de plomber leur profitabilité, leur souci étant surtout un manque de demande pour les prêts qu’un manque de liquidité…
Pour le trésorier, le casse-tête continue…
Les taux, courts comme longs, risquent bien de rester « collés au plancher » pendant de longues années.
Même si le premier relèvement des taux au lieu en 2020 (hypothèse optimiste), le marché restera inondé de liquidités gratuites jusqu’en 2023, terme des TLTRO qui seront accordés en 2021.
Que faire dans l’anticipation du TLTRO, saison 3 ?
Les comptes à terme restent encore et toujours les meilleurs véhicules tout-terrain lorsqu’ils sont à taux progressifs et disposent de possibilités de sortie à 31 jours ou à 92 jours. Il faut en profiter dès maintenant : une fois abreuvées de TLTRO les banques rechigneront probablement à payer…
Une forte hausse du volume des prêts immobiliers pourrait les inciter à venir se refinancer en comptes à terme, avec toutefois des taux qui resteront très bas car les taux immobiliers ne remonteront certainement pas cette année.
Pour placer efficacement sa trésorerie en 2019, il faut donc élargir ses horizons et diversifier ses produits de placement.
Il faut oser aller plus loin : SCPI, produits structurés, contrats de capitalisation si éligible…
Cela nécessite, comme nous l’indiquions les mois précédents, de bien connaître ses contraintes de gestion : placer à long terme ce qui peut l’être et surtout se positionner clairement dans le triptyque « rendement, disponibilité, sécurité ».
[maxbutton id= »8″]