Au cours du mois de septembre, les taux longs (5 ans, 10 ans) ont repris leur progression sur les marchés obligataires, aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Au point d’atteindre des niveaux peu cohérents avec les anticipations d’inflation et de taux directeurs des banques centrales.
Depuis le début de l’année, les taux longs semblaient globalement stabilisés. L’OAT à 10 ans française évoluait autour de 3%, de même que le taux d’emprunt à 10 ans américain fluctuait autour de 3,8%. Le mois de septembre a remis en cause cette tendance, avec des taux à 10 ans qui sont montés , en séance, le 23 octobre à 3,6% pour la France et 5,01% pour les États-Unis, leur plus haut niveau respectif depuis 12 ans et 16 ans. Au point qu’en Europe, les rendements des obligations souveraines dépassent désormais le rendement des valeurs du Stoxx Europe 600 (dividendes autour de 3% en moyenne).
« Higher for longer »
À l’origine de cette progression : le sentiment que les banques centrales pourraient conserver des taux « élevés de manière prolongée » (« higer for longer »), pour reprendre une expression largement employée suite à la réunion de la Fed du 20 septembre dernier. Cette perspective ne remet pas en cause l’idée que les taux directeurs ont atteint leur sommet (ou l’auront atteint d’ici la fin de l’année), mais laisse entendre que la baisse des taux sera lente et progressive à l’avenir, éventuellement via des baisses de seulement 25 points de base par réunion. On notera que la première baisse des taux de la Fed est toujours attendue pour juin 2024 selon le baromètre CME FedWatch.
De manière plus annexe, certains analystes et économistes ont également pu voir dans cette hausse
des taux souverains une légère tension liée au risque de solvabilité, la réapparition de débats houleux aux États-Unis sur le relèvement du plafond de la dette et la validation encore incertaine du budget 2024 n’ayant certes pas aidé à apaiser les esprits.
Des taux longs devenus excessivement élevés ?
Il est toutefois intéressant de s’interroger sur les scénarios qui sous-tendent des taux aussi élevés.
Les taux longs (10 ans) se rapprochent des taux courts (3,8% pour le taux à 1 an français, 4% pour l’€STER). Autrement dit, les marchés intègrent l’hypothèse que les taux directeurs de la BCE devraient rester, en moyenne, relativement proches de leurs niveaux actuels au cours des 10 prochaines années, avec plus exactement une baisse modérée au cours des prochaines années, suivie d’une remontée. Un tel scénario semblerait pourtant surprenant, les banques centrales ayant peu de chances de maintenir des taux aussi élevés à long terme, notamment si l’on tient compte de l’actuelle normalisation de l’inflation et du risque latent de récession.
Le niveau actuel des taux longs semble donc excessivement élevé face aux fondamentaux économiques, bien que le débat sur une « nouvelle normalité » des taux à des niveaux relativement élevés reste ouvert. Il est toutefois intéressant de souligner, dans ce débat, que les raisons qui justifiaient ces dernières années le maintien d’une inflation à des niveaux très bas n’ont pas fondamentalement évolué : démographie en déclin dans les pays développés, croissance modérée, digitalisation des services et concurrence mondialisée. L’actuel pic d’inflation, principalement lié aux coûts de l’énergie, pourrait donc finir par se résorber en laissant place à un retour des taux bas, contrairement aux actuelles anticipations de marché.
Cette situation peut s’avérer particulièrement intéressante pour les investisseurs disposant d’un horizon de placement de long terme, car elle leur permet de « bloquer » actuellement des rendements élevés sur longue période, susceptibles de surcompenser significativement l’inflation au cours des prochaines années. Rappelons que l’inflation en zone euro sur les 12 derniers mois est retombée à 4,3% en septembre, après avoir atteint plus de 10% en octobre 2022.