Les membres de la banque centrale américaine n’hésitent plus à évoquer un scénario de 5 hausses de taux en 2022 pour maîtriser l’inflation. À l’inverse, la BCE souhaite conserver une politique ultra-accommodante au moins jusqu’en décembre 2022.
Après avoir longtemps affirmé que l’inflation n’était qu’un phénomène transitoire, voire une erreur statistique liée à une année 2020 « anormale », la Réserve Fédérale (Fed) assume désormais une volte-face totale et envisage un sérieux tour de vis monétaire.
Une inflation à combattre d’urgence aux États-Unis
En fin d’année dernière, la banque centrale américaine avait déjà publié les anticipations de ses membres, laissant entrevoir 3 hausses de taux (de 0,25% chacune) en 2022, suivies de 2 hausses en 2023. Le but : revenir vers des taux directeurs proches de 1% fin 2022, puis 1,5% fin 2023. Depuis le 15 mars 2020, ces taux sont en effet à un niveau plancher, compris entre 0% et 0,25%, de manière à ce que les banques puissent proposer des taux de crédit extrêmement bas à leurs clients et favoriser ainsi une reprise économique rapide.
Cette relance monétaire de la Fed, doublée d’un plan de rachats de dettes sur les marchés financiers (« quantitative easing ») et d’une relance budgétaire de l’État américain a, pour ainsi dire, « trop bien marché ». L’économie, dopée depuis près de 2 ans par des mesures de soutien sans précédent, subit désormais une inflation préoccupante de 7% sur les 12 derniers mois et entre en zone de surchauffe. La banque centrale doit désormais mettre un coup de frein. Deux membres de la Fed ont ainsi évoqué en janvier la possibilité de procéder dès 2022 à 5 hausses de taux pour limiter les risques de bulle qui sont apparus à la fois sur le crédit, l’immobilier et les marchés boursiers.
La Fed a d’ores et déjà clarifié le fait qu’elle relèvera ses taux une première fois en mars, date à laquelle elle mettra également fin à son plan de « quantitative easing ».
Une BCE vouée à absorber les déficits publics
L’inflation a également fait son retour en zone euro, atteignant 5% sur les 12 derniers mois. Pour autant, la BCE n’a clairement pas les mêmes intentions que la Fed.
En premier lieu, il est hors de question pour la banque centrale de relever ses taux directeurs. Ceux-ci resteront à leurs niveaux actuels au moins jusqu’en 2023, soit 0% pour le taux de refinancement et surtout -0,50% pour le taux de dépôt, dont la valeur négative se répercute sur les placements monétaires. Une certitude pour 2022 : les placements dits « sans risque » continueront donc de faire perdre de l’argent aux investisseurs, qui auront tout intérêt à chercher de meilleurs alternatives.
Par ailleurs, bien que le « plan d’urgence pandémique » (PEPP) de la BCE s’arrêtera en mars prochain, la banque centrale poursuivra son « quantitative easing » à un rythme de 40 milliards d’euros d’achats par mois au T2, 30 milliards par mois au T3 et 20 milliards au T4. La relance n’est donc pas terminée en zone euro, malgré une inflation très supérieure à l’objectif de la banque centrale. La raison est simple, bien que non officielle : la BCE se doit de soutenir les États européens pour ne pas reproduire son erreur de 2011, ayant consisté à opter pour une politique monétaire plus restrictive juste après la crise de 2008, mettant en difficulté les États d’Europe du sud dont les déficits budgétaires restaient encore élevés. Dans le contexte actuel, les États européens semblent à nouveau trop fragiles pour supporter un coup de frein monétaire. Pour ne citer que le cas français, le déficit budgétaire 2021 est estimé par le gouvernement à 7% et celui de l’année 2022 devrait atteindre 5%. Concrètement, en conservant son quantitative easing en 2022, la BCE absorbera les émissions de dettes associées à ces déficits.
Quelles conséquences pour les investisseurs ?
Tout d’abord, le message de la hausse des taux aux États-Unis a été largement assimilé par les investisseurs. Selon le baromètre « CME FedWatch », 43% d’entre eux s’attendent désormais à au moins 5 hausses de taux en 2022. 15% s’attendent même à 6 hausses ou plus. Rappelons qu’il y a un an, aucune hausse de taux n’était attendue avant 2023.
La prise en compte d’une politique monétaire plus ferme aux États-Unis, associée à un mouvement d’inflation d’envergure mondiale, a par ailleurs des effets visibles sur les marchés depuis le début d’année.
Sur les marchés actions, on assiste depuis quelques semaines à une nouvelle « rotation sectorielle » en faveur des valeurs « cycliques », au détriment des valeurs dites « de croissance » (technologie, luxe) qui avaient quant à elles bénéficié de l’environnement de taux bas en 2020 et 2021. Parmi les valeurs cycliques se trouvent notamment le secteur bancaire, directement bénéficiaire de taux plus élevés. On y trouve également le secteur de l’énergie et des matières premières, qui bénéficie quant à lui de la hausse des prix de vente : outre le cas très particulier de l’envolée du gaz, on notera que les cours du pétrole sont revenus à 85 dollars/baril, leur plus haut niveau depuis 2014.
Enfin, sur les marchés obligataires, les perspectives de hausse des taux aux États-Unis se répercutent particulièrement sur les rendements de la dette souveraine. Les taux d’emprunt de l’État américain grimpent sur tous les échéances, aussi bien à 2 ans qu’à 10 ans, ce qui amène mécaniquement une baisse de la valeur des titres déjà émis par le passé. Ainsi les marchés obligataires américains connaissent-ils leur pire début d’année depuis 10 ans. La remontée des taux se répercute, par mimétisme, sur les marchés obligataires européens (la France emprunte de nouveau à taux positifs à 10 ans), mais le mouvement reste limité sur le Vieux continent, eu égard à la politique toujours accommodante de la BCE.