La BCE a clairement préparé les esprits à une baisse de ses taux directeurs lors de sa prochaine
réunion de politique monétaire, ceci malgré le moindre empressement de la Fed à s’engager sur la
même voie.
Il fut un temps où les banquiers centraux préféraient cacher leurs intentions. « Si vous m’avez
compris, c’est que je me suis mal exprimé » avait ainsi déclaré Alan Greenspan, président de la Fed de
1987 à 2006. Autres temps, autres mœurs : de nos jours, la communication est au contraire au cœur
de l’évolution des politiques monétaires, la Fed et la BCE cherchant toujours à préparer les
investisseurs en amont de leurs prises de décisions. Tout en laissant néanmoins une part de doute,
en cas d’imprévu.
Ainsi, au cours des derniers mois, la BCE a clairement indiqué son intention de baisser ses taux
directeurs, tout en conditionnant cette décision à l’évolution de l’inflation. Cette position était ré-
exprimée noir sur blanc vendredi 10 mai dans le compte-rendu de la dernière réunion de la banque
centrale, où l’on pouvait lire : « Il a été jugé plausible que le Conseil des gouverneurs soit en mesure
de commencer à assouplir la politique monétaire lors de la réunion de juin si des éléments
supplémentaires reçus d’ici là confirmaient les perspectives d’inflation à moyen terme contenues dans
les projections de mars ».
Tout porte à croire que cette condition sera remplie : en zone euro, l’inflation « brute » continue de
se tasser (2,4% en avril contre 2,9% en décembre, sur 12 mois glissants). L’inflation « sous-jacente »,
excluant l’énergie et les produits frais, reste quant à elle plus élevée (2,7% en avril), mais son recul
est rapide : en octobre, elle atteignait encore 4,2%.
Cette trajectoire vient donc confirmer l’abaissement des prévisions d’inflation de la BCE opérées en
mars, avec une inflation anticipée à 2,3% pour l’ensemble de l’année 2024 et 2% pour 2025,
correspondant à sa cible de long terme. Dans ce contexte, la BCE n’a a priori pas de raison de laisser
ses taux directeurs à des niveaux aussi élevés qu’actuellement : rappelons que son taux de dépôt est
actuellement situé à 4,00% et son taux de refinancement à 4,50%. Le marché anticipe ainsi une
baisse de ces taux de 25 points de base (0,25%) le 6 juin prochain, puis une lente poursuite du
mouvement, à un rythme de l’ordre de 25 points de base par trimestre. Le marché pourra se faire un
avis définitif sur la question le 31 mai, jour où sera publiée par Eurostat la première estimation de
l’inflation en zone euro pour le mois de mai.
« We are not Fed-dependant »
Reste que la Fed est, de son côté, en train de rétropédaler après avoir annoncé, dès le mois de
décembre 2023, 3 baisses de taux en 2024. On se rappelle que le marché allait même plus loin, en
anticipant alors 6 baisses de taux en 2024. Il n’en sera rien : face à une inflation persistante outre-
Atlantique, la Fed ne montre plus guère d’empressement à assouplir sa politique monétaire. Les
marchés n’attendent désormais aucune action de sa part avant le mois de septembre. La Fed
pourrait même laisser ses taux inchangés d’ici la fin de l’année, bien que ce scénario reste
actuellement minoritaire dans les anticipations de marché.
En abaissant ses taux dès le 6 juin, la BCE devrait donc assumer, une fois n’est pas coutume, d’agir en
avance par rapport à la Fed. Cette éventualité laisse certains investisseurs perplexes, car elle pourrait avoir des effets contre-productifs, à commencer par une baisse de l’euro face au dollar et face aux
autres monnaies du monde, au risque de renchérir les importations et faire ainsi rebondir l’inflation
en zone euro. Mais Christine Lagarde a clairement insisté sur l’indépendance de la BCE en matière de
politique monétaire, déclarant lors de son allocution du 11 avril : « We are data-dependant, not Fed-
dependant ». Comprendre : « Tant que les données économiques nous indiquent qu’il est temps de
baisser les taux, nous le ferons, même si la Fed agit différemment ».
On notera que la BCE ne serait pas la première grande banque centrale occidentale à abaisser ses
taux directeurs depuis le début de l’année. La Banque Nationale Suisse (BNS) a déjà opté pour une
baisse de 25 points de base le 21 mars. D’autres banques centrales d’Europe, comme celles de
République tchèque ou de Hongrie, ont également commencé à baisser leurs taux dès le T4 2023.