« Alors que les entreprises françaises n’ont jamais détenu autant de trésorerie, les banques rechignent de plus en plus à accepter leurs dépôts.
Pâtissant des taux négatifs et des pressions baissières sur les spreads des émetteurs, les fonds monétaires voient quant à eux leurs rendements s’enfoncer toujours plus en dessous de 0 %. Dans ce contexte, les marges de manœuvre des trésoriers restent réduites.
Abondance de biens ne nuit pas, affirme le dicton. En matière de trésorerie, il semble cependant en aller autrement. Rappelant disposer « de dépôts bancaires importants à des taux négatifs », Vivendi se décidait fin mars à procéder au remboursement anticipé d’un emprunt obligataire au coupon pourtant peu onéreux (0,75 %). Un cas loin d’être isolé. Au sein des grands groupes comme des PME-ETI, les réflexions de ce type auraient en effet tendance à se multiplier depuis plusieurs semaines. « Lorsque la pandémie est arrivée en Europe, le mot d’ordre de notre direction générale était d’amasser un maximum de trésorerie de manière à pouvoir traverser cette période sereinement, témoigne le trésorier d’une ETI industrielle. Mais aujourd’hui, il est devenu plus complexe que jamais de placer ces liquidités de précaution qui, par ailleurs, nous coûtent de plus en plus cher. En conséquence, nos dirigeants cherchent désormais à en réduire l’ampleur. » Selon la Banque de France, la trésorerie des entreprises non financières a atteint un niveau record en décembre 2020, à 886,3 milliards d’euros (+ 28,6 % sur un an).
Une surliquidité bancaire
Ces difficultés à placer le cash à des conditions satisfaisantes ne sont certes pas nouvelles. En contribuant depuis plusieurs années à inonder les marchés financiers de liquidités (programmes d’injection d’argent à destination des banques, quantitative easing, passage du taux de la facilité de dépôt en territoire négatif, etc.), la Banque centrale européenne avait déjà conduit les établissements bancaires à moins rechercher les dépôts de leurs clients. De plus, cette politique monétaire expansionniste n’a cessé de tirer les taux d’intérêt et les spreads des émetteurs vers le bas, aboutissant mécaniquement à une chute des rendements offerts par les fonds monétaires. Mais la mise en place par l’Eurosystème dès mars 2020 d’un programme supplémentaire de rachats d’actifs d’urgence de 1 850 milliards d’euros et la possibilité pour les banques commerciales de pouvoir emprunter auprès de l’institution monétaire au taux de – 1 % ont eu pour effet d’aggraver encore la situation pour les épargnants.
Séduites par les modalités de financement particulièrement attractives que leur proposait la BCE, les banques ont levé auprès d’elle d’abondantes ressources.
« L’excédent de liquidités aujourd’hui détenues par les établissements bancaires européens a presque doublé en l’espace d’un an, pour avoisiner un pic de 4 000 milliards d’euros », observe Cécile Mouton, head of liquidity solutions d’Amundi. Dans la mesure où ces réserves excédentaires doivent être redéposées chaque jour à la BCE qui en rémunère une grande partie au taux de la facilité de dépôt, soit – 0,50 %, les établissements rechignent logiquement à en collecter davantage dès lors qu’elles leur coûteraient davantage – ce qui est par exemple le cas des dépôts laissés sur les comptes de leurs clients et qui sont rémunérés 0 %. « Après s’être montrés conciliants au début de la crise, ils restreignent désormais au maximum les montants que leur clientèle d’entreprises peut laisser sur leur compte courant, constate Cyril Merkel, président de la commission placements de l’Association française des trésoriers d’entreprise (AFTE). En outre, les offres de dépôts à terme sont devenues quasi inexistantes, et les rares à être encore proposées sont assorties de conditions dissuasives avec des rendements largement négatifs. »
Une généralisation de la taxation des dépôts
Un constat confirmé par les spécialistes en placements. « La décision de taxer les soldes à vue (via des frais d’entrée et de sortie) s’applique dorénavant à la plupart des grandes entreprises depuis que les banques se sont rendu compte qu’une part substantielle des prêts garantis par l’Etat ne serait pas remboursée et resterait conservée sur les comptes, informe David Guyot, associé de Pandat Finance. Quant aux comptes à terme disponibles, les PME-ETI peuvent au mieux espérer percevoir 0,30 %, voire 0,40 %, au bout de cinq années. Pour les grands groupes, les meilleurs taux du moment avoisinent 0 % sur un même horizon de placement. » S’agissant des soldes à vue, de plus en plus d’ETI, voire de PME, tendent également à se faire « taxer ».
Face aux réticences de leurs partenaires bancaires à accepter leur cash, les trésoriers se sont donc massivement reportés vers l’un de leurs supports de prédilection : les OPCVM monétaires. Contrairement aux banques, les gérants restent, il est vrai, ouverts à toute nouvelle collecte.
L’ISR en passe de devenir la norme ?
- Optionnelle il y a encore quelques années, la recherche de produits de placements ISR est aujourd’hui devenue un critère essentiel pour de nombreux trésoriers. « Le mouvement est tel qu’il amène notamment les sociétés de gestion à labelliser de plus en plus de leurs fonds monétaires standards », observe Cyril Merkel, de l’AFTE. Un constat confirmé par les gérants. « La demande pour des fonds ISR ne cesse d’augmenter chez nos clients corporates, signale Jean-Michel Nakache, chez Swiss Life AM. Cette tendance s’explique notamment par le fait que ces derniers se financent davantage au travers d’instruments ESG (green bond par exemple) et qu’ils doivent, le temps d’investir les montants empruntés, les déposer sur des supports de placement revêtant une dimension de cette nature. »
- Du côté des banques, les offres de dépôts RSE commencent également à se multiplier. Mais la dynamique est jugée décevante. « Hormis quelques établissements comme la Banque Populaire Auvergne Rhône Alpes, les banques sont globalement en retard dans ce domaine », déplore David Guyot, chez Pandat Finance. Justification souvent avancée par les intéressées : les difficultés, compte tenu de l’organisation interne, à flécher les dépôts ESG de leurs clients vers des projets conformes aux attentes de ces derniers.«
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